Utilisation des moyens informatiques par le salarié et responsabilité de l'employeur
Responsabilité de l'employeur du fait de l'utilisation d'Internet par le salarié
Un jugement remarqué du Tribunal de Grande Instance de Marseille en date du 11 juin 2003 avait déclaré un employeur civilement responsable des agissements de son salarié qui avait mis en ligne, avec les moyens informatiques mis à sa disposition par l’employeur, un site web "ESCROCA" comportant des éléments injurieux et contrefaisants à l’égard de la société d’autoroute ESCOTA.
Pour retenir la responsabilité de l’employeur, le Tribunal avait considéré que le salarié n’avait pas agi :
- en dehors de ses fonctions ;
- sans autorisation de l’employeur ;
- à des fins étrangères à ses attributions.
Tels sont en effet les trois éléments que doit démontrer l’employeur, en application d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis 1988, pour échapper à la mise en oeuvre de sa responsabilité en tant que "commettant", prévue par l’article 1384 alinéa 5 du Code civil.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé en toutes ses dispositions le jugement du 11 juin 2003 par un arrêt du 13 mars 2006 (LUCENT TECHNOLOGIES c/ ESCOTA, LYCOS-MULTIMANIA et M. B.), par ailleurs riche en enseignements puisqu’il tranche également d’autres problèmes juridiques relatifs à la contrefaçon de marque, à la contrefaçon de sites web, à la responsabilité des hébergeurs, etc.
Cette décision est particulièrement sévère pour les entreprises puisqu’elle aboutit à considérer l’employeur comme civilement responsable des actes de ses salariés commis au moyen de l’ordinateur et de la connexion mis à leur disposition, dès lors que l’employeur a autorisé ses salariés à utiliser librement Internet.
Paradoxalement, la responsabilité de l’employeur semble devoir être d’autant plus facilement retenue qu’il se sera montré plus souple dans l’utilisation des moyens informatiques à des fins non directement professionnelles !
Reprenant successivement les trois conditions cumulatives d’exonération ci-dessus rappelées, la Cour d’Aix a en effet considéré que :
"Il n'est pas contestable que M. B, qui occupait des fonctions de technicien test dans une entreprise "dont l'activité est construction d'équipements et de systèmes de télécommunication" selon ses propres écritures, et dans lesquelles l'usage d'un ordinateur, et d'internet, doit être quotidien, a agi dans le cadre de ses fonctions.
Il est par ailleurs établi qu'il a agi avec l'autorisation de son employeur, qui avait d'ailleurs permis à son personnel, selon une note de service du 13 juillet 1999, "d'utiliser les équipements informatiques mis à leur disposition pour consulter d'autres sites que ceux présentant un intérêt en relation directe avec leur activité".
Il est enfin certain qu'il n'a pas agi à des fins étrangères à ses attributions, puisque selon le règlement précité, il était même autorisé à disposer d'un accès à internet, y compris en dehors de ses heures de travail."
Voilà qui devrait légitimement inciter les entreprises à encadrer strictement, notamment au moyen de "chartes informatiques", l’utilisation par les salariés des moyens informatiques mis à leur disposition.
Cette décision est d’autant plus surprenante que la jurisprudence actuelle et la CNIL invitent par ailleurs les entreprises à libéraliser cette utilisation !
Seul réconfort pour l’employeur : la condamnation civile prononcée à l’encontre de l’employeur est assortie de la condamnation du salarié à le garantir, ce qui signifie concrètement que l’employeur devra faire l’avance de la condamnation et obtenir remboursement du salarié… en supportant bien sûr le risque de son éventuelle insolvabilité.
Alexis Baumann
Avocat à la Cour
Voir :
C.A. Aix-en-Provence 13 mars 2006, LUCENT TECHNOLOGIES c/ ESCOTA, LYCOS-MULTIMANIA et M. B.
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